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dimanche 28 avril 2013

Hommage à Henri Fertet


Lettre de Henri Fertet, "un condamné à mort de 16 ans"


 


Élève de Seconde du Lycée Victor-Hugo à Besançon. Résistant condamné à mort par le tribunal militaire de la Feldkommandantur 560. Exécuté à Besançon le 26 septembre 1943.


" Chers Parents,

Ma lettre  va vous causer une grande peine, mais je vous ai  vus  si  pleins de courage  que, je  n'en  doute  pas, vous voudrez encore le garder, ne serait-ce que par amour pour moi.

Vous ne pouvez savoir ce que moralement j'ai souffert dans ma cellule, ce que j'ai souffert de ne plus vous voir, de ne plus sentir peser sur moi  votre tendre sollicitude que  de loin. Pendant  ces  87 jours de cellule, votre amour m'a manqué plus que vos colis, et souvent je vous ai demandé de me pardonner le mal que je vous ai fait, tout le mal que je vous ai fait.

Vous ne pouvez vous douter de  ce  que  je  vous  aime aujourd'hui car,  avant, je  vous aimais plutôt  par routine, mais maintenant je comprends tout ce que vous avez fait pour moi et je crois être arrivé à l'amour filial véritable, au vrai amour filial. Peut-être après la  guerre, un camarade vous parlera-t-il  de moi, de cet amour que je lui ai communiqué. J'espère qu'il ne faillira pas à cette mission sacrée.

Remerciez toutes les personnes qui se sont intéressées à moi, et particulièrement nos plus proches parents et amis ; dites-leur ma confiance  en la  France  éternelle.  Embrassez  très  fort  mes grands parents,  mes oncles tantes et cousins, Henriette. Donnez une bonne poignée de main  chez M. Duvernet ; dites  un  petit mot  à  chacun. Dites à M. le Curé  que  je  pense  aussi  particulièrement  à  lui  et  aux siens. Je  remercie Monseigneur  du  grand  honneur  qu'il  m'a fait, honneur dont, je crois, je me  suis montré digne. Je  salue aussi en tombant, mes camarades  de  lycée. A  ce  propos, Hennemann  me  doit un paquet de cigarettes, Jacquin mon livre sur  les  hommes  préhistoriques.  Rendez  « Le Comte  de  Monte-Cristo » à Emourgeon, 3 chemin Français, derrière la gare. Donnez à Maurice André, de la Maltournée,  40  grammes de tabac que je lui dois.

Je lègue ma petite bibliothèque à Pierre, mes livres de classe à mon petit papa, mes collections à ma chère petite maman, mais qu'elle se méfie de la hache préhistorique et du fourreau d'épée gaulois.

Je  meurs  pour  ma  Patrie.  Je  veux  une  France  libre  et  des  Français  heureux.  Non  pas  une France orgueilleuse,  première  nation  du monde,  mais  une  France travailleuse,  laborieuse  et honnête. Que les Français soient heureux, voila l'essentiel. Dans la vie, il faut savoir cueillir le bonheur.

Pour moi, ne vous faites pas de soucis. Je garde  mon  courage  et  ma  belle  humeur jusqu'au bout, et  je chanterai « Sambre et Meuse » parce que c'est toi, ma chère petite maman, qui me l'as apprise.

Avec Pierre, soyez sévères  et tendres. Vérifiez  son  travail  et  forcez-le  à  travailler.  N'admettez  pas  de négligence. Il doit se montrer digne de moi. Sur trois enfants, il en reste un. Il doit réussir.

Les soldats viennent me chercher. Je hâte le pas.  Mon écriture est  peut-être  tremblée ; mais  c'est  parce que j'ai un petit crayon. Je n'ai pas peur de la mort ; j'ai la conscience tellement tranquille.


Papa,  je  t'en  supplie, prie. Songe  que, si je  meurs, c'est pour mon bien. Quelle mort sera plus honorable pour moi que  celle-là ? Je  meurs volontairement  pour ma Patrie. Nous nous retrouverons tous les quatre, bientôt au Ciel.

« Qu'est-ce que cent ans ? »

Maman, rappelle-toi :
« Et ces vengeurs auront de nouveaux défenseurs
qui, après leur mort, auront des successeurs. »


Adieu, la mort m'appelle. Je ne veux ni bandeau, ni être attaché. Je vous embrasse  tous. C'est  dur  quand même de mourir.
Mille baisers. Vive la France.
Un condamné à mort de 16 ans

                                                                                                                                                    

 H. Fertet
Excusez les fautes d'orthographe, pas le temps de relire.


Expéditeur : Henri Fertet
Au Ciel, près de Dieu. "